RÉCIT DE LA GRANDE EXPÉRIENCE DE L'ÉQUILIBRE DES LIQUEURS PROJETÉE PAR LE SIEUR B. P. POUR L'ACCOMPLISSEMENT DU TRAITÉ QU'IL A PROMIS DANS SON ABRÉGÉ TOUCHANT LE VIDE ET FAITE PARLE SIEUR F. P. EN UNE DES PLUS HAUTES MONTAGNES D'AUVERGNE

 

Lorsque je mis au jour mon abrégé sous ce titre : Expériences nouvelles touchant le vide, etc., où j'avais employé la maxime de l'horreur du vide, parce qu'elle était universellement reçue, et que je n'avais point encore de preuves convaincantes du contraire, il me resta quelques difficultés, qui me firent grandement défier de la vérité de cette maxime, pour l'éclaircissement desquelles je méditais dès lors l'expérience dont je fais voir ici le récit, qui me pouvait donner une parfaite connaissance de ce que j'en devais croire. Je l'ai nommée la grande expérience de l'équilibre des liqueurs, parce qu'elle est la plus démonstrative de toutes celles qui peuvent être faites sur ce sujet, en ce qu'elle fait voir l'équilibre de l'air avec le vif-argent, qui sont, l'un la plus légère, l'autre la plus pesante de toutes les liqueurs qui sont connues dans la nature. Mais pour ce qu'il était impossible de la faire en cette ville de Paris, qu'il n'y a que très peu de lieux en France propres pour cet effet, et que la ville de Clermont en Auvergne est un des plus commodes, je priai Monsieur Périer, Conseiller en la Cour des Aides d'Auvergne, mon beau-frère, de prendre la peine de l'y faire. On verra quelles étaient mes difficultés, et quelle est cette expérience, par cette lettre que je lui en écrivis alors.

 

COPIE DE LA LETTRE DE MONSIEUR PASCAL LE JEUNE A MONSIEUR PERIER, du 15 novembre 1647

 

MONSIEUR,

Je n'interromprais pas le travail continuel, où vos emplois vous engagent, pour vous entretenir de méditations physiques, si je ne savais qu'elles serviront à vous délasser en vos heures de relâche, et qu'au lieu que d'autres en seraient embarrassés, vous en aurez du divertissement. J'en fais d'autant moins de difficulté, que je sais le plaisir que vous recevez en cette sorte d'entretien! Celui-ci ne sera qu'une continuation de ceux que nous avons eus ensemble touchant le vide. Vous savez quel sentiment les philosophes ont eu sur ce sujet : Tous ont tenu pour maxime, que la nature abhorre le vide; et presque tous, passant plus avant, ont soutenu qu'elle ne peut l'admettre, et qu'elle se détruirait elle-même plutôt que de le souffrir. Ainsi les opinions ont été divisées; les uns se sont contentés de dire qu'elle l'abhorrait seulement les autres ont maintenu qu'elle ne le pouvait souffrir. J'ai travaillé, dans mon Abrégé du traité du vide, à détruire cette dernière opinion, et j e crois que les expériences que j 'y ai rapportées suffisent pour faire voir manifestement que la nature peut souffrir et souffre en effet un espace, si grand que l'on voudra, vide de toutes les matières qui sont en notre connaissance, et qui tombent sous nos sens. Je travaille maintenant à examiner la vérité de la première, et à chercher des expériences qui fassent voir si les effets que l'on attribue à l'horreur du vide, doivent être véritablement attribués à cette horreur du vide, ou s'ils le doivent être à la pesanteur et pression de l'air; car, pour ouvrir franchement ma pensée, j'ai peine à croire que la nature, qui n'est point animée, ni sensible, soit susceptible d'horreur, puisque les passions présupposent une âme capable de les ressentir, et j'incline bien plus à imputer tous ces effets à la pesanteur et pression de l'air, parce que je ne les considère que comme des cas particuliers d'une proposition universelle de l'équilibre des liqueurs, qui doit faire la plus grande partie du traité que j'ai promis. Ce n'est pas que je n'eusse ces mêmes pensées lors de la production de mon abrégé ; et toutefois, faute d'expériences, je n'osai pas alors (et je n'ose pas encore) me départir de la maxime de l'horreur du vide, et je l'ai me employée pour maxime dans mon abrégé : n'ayant lors autre dessein que de combattre l'opinion de ceux qui soutiennent que le vide est absolument impossible, et que la nature souffrirait plutôt sa destruction que le moindre espace vide. En effet, je n'estime pas qu'il nous soit permis de nous départir légèrement des maximes que nous tenons de l'antiquité, si nous n'y sommes obligés par des preuves indubitables et invincibles. Mais en ce cas je tiens que ce serait une extrême faiblesse d'en faire le moindre scrupule, et qu'enfin nous devons avoir plus de vénération pour les vérités évidentes, que d'obstination pour ces opinions reçues. Je ne saurais mieux vous témoigner la circonspection que j'apporte avant que de m'éloigner des anciennes maximes, que de vous remettre dans la mémoire l'expérience que je fis ces jours passés en votre présence avec deux tuyaux l'un dans l'autre qui montre apparemment le vide dans le vide. Vous vîtes que le vif-argent du tuyau intérieur demeura suspendu à la hauteur où il se tient par l'expérience ordinaire, quand il était contrebalancé et pressé par la pesanteur de la masse entière de l'air, et qu'au contraire, il tomba entièrement, sans qu'il lui restât aucune hauteur ni suspension, lorsque, par le moyen du vide dont il fut environné, il ne fut plus du tout pressé ni contrebalancé d'aucun air, en ayant été destitué de tous côtés. Vous vîtes ensuite que cette hauteur ou suspension du vif-argent augmentait ou diminuait à mesure que la pression de l'air augmentait ou diminuait, et qu'enfin toutes ces diverses hauteurs ou suspensions du vif-argent se trouvaient toujours proportionnées à la pression de l'air.

Certainement, après cette expérience, il y avait lieu de se persuader que ce n'est pas l'horreur du vide, comme nous estimons, qui cause la suspension du vif-argent dans l'expérience ordinaire, mais bien la pesanteur et pression de l'air, qui contrebalance la pesanteur du vif­-argent. Mais parce que tous les effets de cette dernière expérience des deux tuyaux, qui s'expliquent si naturellement par la seule pression et pesanteur de l'air, peuvent encore être expliqués assez probablement par l'horreur du vide, je me tiens dans cette ancienne maxime, résolu néanmoins de chercher l'éclaircissement entier de cette difficulté par une expérience décisive. J'en ai imaginé une qui pourra seule suffire pour nous donner la lumière que nous cherchons, si elle peut être exécutée avec justesse. C'est de faire l'expérience ordinaire du vide plusieurs fois en même jour, dans un même tuyau, avec le même vif-argent, tantôt au bas et tantôt au sommet d'une montagne, élevée pour le moins de cinq ou six cents toises, pour éprouver si la hauteur du vif-argent suspendu dans le tuyau, se trouvera pareille ou différente dans ces deux situations. Vous voyez déjà sans doute, que cette expérience est décisive de la question, et que, s'il arrive que la hauteur du vif-argent soit moindre au haut qu'au bas de la montagne (comme j'ai beaucoup de raisons pour le croire, quoique tous ceux qui ont médité sur cette matière soient contraires à ce sentiment), il s'ensuivra nécessairement que la pesanteur et pression de l'air est la seule cause de cette suspension du vif-argent, et non pas l'horreur du vide, puisqu'il est bien certain qu'il y a beaucoup plus d'air qui pèse sur le pied de la montagne, que non pas sur son sommet ; au lieu qu'on ne saurait pas dire que la nature abhorre le vide au pied de la montagne plus que sur son sommet.

Mais comme la difficulté se trouve d'ordinaire jointe aux grandes choses, j'en vois beaucoup dans l'exécution de ce dessein, puisqu'il faut pour cela choisir une montagne excessivement haute, proche d'une ville dans laquelle se trouve une personne capable d'apporter à cette épreuve toute l'exactitude nécessaire. Car si la montagne était éloignée, il serait difficile d'y porter les vaisseaux, le vif-argent, les tuyaux et beaucoup d'autres choses nécessaires, et d'entreprendre ces voyages pénibles autant de fois qu'il le faudrait, pour rencontrer au haut de ces montagnes le temps serein et commode, qui ne s'y voit que peu souvent. Et comme il est aussi rare de trouver des personnes hors de Paris qui aient ces qualités, que des lieux qui aient ces conditions, j'ai beaucoup estimé mon bonheur d'avoir, en cette occasion, rencontré l'un et l'autre, puisque notre ville de Clermont est au pied de la haute montagne du Puy de Dôme, et que j'espère de votre bonté que vous m'accorderez la grâce d'y vouloir faire vous-même cette expérience; et sur cette assurance, je l'ai fait espérer à tous nos curieux de Paris, et entre autres au R. P. Mersenne, qui est déjà engagé, par lettres qu'il en a écrites en Italie, en Pologne, en Suède, en Hollande, etc., d'en faire part aux amis qu'il s'y est acquis par son mérite. Je ne touche pas aux moyens de l'exécuter, parce que je sais bien que vous n'omettrez aucune des circonstances nécessaires pour la faire avec précision.

Je vous prie seulement que ce soit le plus tôt qu'il vous sera possible et d'excuser cette liberté où m'oblige l'impatience que j'ai d'en apprendre le succès sans lequel je ne puis mettre la der­nière main au traité que j'ai promis au public, ni satisfaire au désir de tant de personnes qui l'attendent, et qui vous en seront infiniment obligées. Ce n'est pas que je veuille diminuer ma reconnaissance par le nombre de ceux qui la partageront avec moi, puisque je veux, au contraire, prendre part à celle qu'ils vous auront, et en demeurer d'autant plus,

Monsieur,

Votre très humble et très obéissant serviteur,

                                                          PASCAL.

                                     De Paris, ce 15 novembre 1647.

 

M. Périer reçut cette lettre à Moulins où il était dans un emploi qui lui ôtait la liberté de disposer de soi-même ; de sorte que, quelque désir qu'il eût de faire promptement cette expérience, il ne l'a pu néanmoins plus tôt qu'au mois de septembre dernier.

Vous verrez les raisons de ce retardement, la relation de cette expérience, et la précision qu'il y a apportée par la lettre suivante qu'il me fit l'honneur de m'en écrire.

 

LETTRE DE MONSIEUR PERIER A MONSIEUR PASCAL LE JEUNE,

du 22 septembre 1648.

 

MONSIEUR,

Enfin j'ai fait l'expérience que vous avez si longtemps souhaitée. Je vous aurais plus rot donné cette satisfaction; j'en ai été empêché, autant par les emplois que j'ai eus en Bourbonnais, qu'à cause que, depuis mon arrivée, les neiges ou les brouillards ont tellement couvert la montagne du Puy de Dôme où je la devais faire, que, même en cette saison qui est ici la plus belle de l'année, j'ai eu peine à rencontrer un jour où l'on pût voir le sommet de cette montagne, qui se trouve d'ordinaire au dedans des nuées, et quelquefois au-dessus, quoique au même temps il fasse beau dans la campagne : de sorte que je n'ai pu joindre ma commodité avec celle de la saison, avant le 19 de ce mois. Mais le bonheur avec lequel je la fis ce jour-là m'a pleinement consolé du petit déplaisir que m'avaient donné tant de retardements, que je n'avais pu éviter.

Je vous en donne ici une ample et fidèle relation, où vous verrez la précision et les soins que j'y ai apportés, auxquels j'ai estimé à propos de joindre encore la présence de personnes aussi savantes qu'irréprochables, afin que la sincérité de leur témoignage ne laissât aucun doute de la certitude de l'expérience.

 

RELATION DE L'EXPÉRIENCE FAITE PAR MONSIEUR PÉRIER

 

La journée de samedi dernier 19 de ce mois fut fort inconstante ; néanmoins, le temps paraissant assez beau sur les cinq heures du matin, et le sommet du Puy de Dôme se montrant à découvert, je me résolus d'y aller pour y faire l'expérience. Pour cet effet, j'en donnai avis à plusieurs personnes de condition de cette ville de Clermont, qui m'avaient prié de les avertir du jour que j'irais, dont quelques-unes sont ecclésiastiques et les autres séculières: entre les ecclésiastiques étaient le T. R. P. Bannier, l'un des Pères Minimes de cette ville, qui a été plusieurs fois correcteur, c'est-à-dire supérieur, et M. Mosnier, chanoine de l'église cathédrale de cette ville; et entre les séculiers, MM. la Ville et Begon ; conseillers en la Cour des Aides, et M. la Porte, docteur en médecine et la professant ici, toutes personnes très capables, non seulement en leurs charges, mais encore dans toutes les belles connaissances, avec lesquelles je fus ravi d'exécuter cette belle partie. Nous fûmes donc ce jour-là tous ensemble sur les huit heures du matin dans le jardin des Père Minimes, qui est presque le plus bas lieu de la ville, où fut commencée l'expérience en cette sorte.

Premièrement, je versai dans un vaisseau seize livres de vif-argent, que j'avais rectifié durant les trois jours précédents; et ayant pris deux tuyaux de verre de pareille grosseur, et longs de quatre pieds chacun, scellés hermétiquement par un bout et ouverts par l'autre, je fis, en chacun de ceux-ci, l'expérience ordinaire du vide dans ce même vaisseau, et ayant approché et joint les deux tuyaux l'un contre l'autre, sans les tirer hors de leur vaisseau, il se trouva que le vif-argent qui était resté en chacun d'eux était à même niveau, et qu'il y en avait en chacun d'eux, au-dessus de la superficie de celui du vaisseau, vingt-six pouces trois lignes et demie. Je refis cette expérience dans ce même lieu, dans les deux mêmes tuyaux, avec le même vif-argent et dans le même vaisseau deux autres fois, il se trouva toujours que le vif-argent des deux tuyaux était à même niveau et en la même hauteur que la première fois.

Cela fait, j'arrêtai à demeure l'un de ces deux tuyaux sur son vaisseau en expérience continuelle. Je marquai au verre la hauteur du vif-argent, et, ayant laissé ce tuyau en sa même place, je priai le R. P. Chastin, l'un des religieux de la maison, homme aussi pieux que capable, et qui raisonne très bien en ces matières, de prendre la peine d'y observer, de moment en moment, pendant toute la journée, s'il y arriverait du changement. Et avec l'autre tuyau, et une partie de ce même vif-argent, je fus, avec tous ces Messieurs, faire les mêmes expériences au haut du Puy de Dôme, élevé au- dessus des Minimes environ de 500 toises, où il se trouva qu'il ne testa plus dans ce tuyau que la hauteur de vingt-trois pouces deux lignes de vif-argent, au lieu qu'il s'en était trouvé aux Minimes, dans ce même tuyau, la hauteur de 26 pouces 3 lignes et demie, et ainsi, entre les hauteurs du vif-argent de ces deux expériences, il y eut trois pouces une ligne et demie de différence: ce qui nous ravit tous d'admiration et d'étonnement, et nous surprit de telle sorte, que, pour notre satisfaction propre, nous voulûmes la répéter. C'est pourquoi je la fis encore cinq autres fois très exactement, en divers endroits du sommet de la montagne, tantôt à couvert dans la petite chapelle qui y est, tantôt à découvert, tantôt à l'abri, tantôt au vent, tantôt au beau temps, tantôt pendant la pluie et les brouillards qui nous y venaient voir parfois, ayant à chaque fois purgé soigneusement d'air le tuyau; il s'est toujours trouvé la même hauteur de vif-­argent de 25 pouces 2 lignes, qui font les 5 pouces une ligne et demie de différence d'avec les vingt-six pouces trois lignes et demie qui s'étaient trouvés aux Minimes. Ce qui nous satisfit pleinement.

Après, en descendant la montagne, je refis en chemin la même expérience, toujours avec le même tuyau, le même vif-argent et le même vaisseau, en un lieu appelé la Font de l'Arbre, beaucoup au-dessus des Minimes, mais beaucoup plus au-dessous du sommet de la montagne ; et là je trouvai que la hauteur du vif-argent resté dans le tuyau était de 25 pouces. Je la refis une seconde fois en ce même lieu, et ledit sieur Mosnier, un des ci-devant nommés, eut la curiosité de la faire lui-même: il la fit donc aussi en ce même lieu, et il se trouva toujours la même hauteur de vingt-cinq pouces, qui est moindre que celle qui s'était trouvée aux Minimes, d'un pouce trois lignes et demie, et plus grande que celle que nous venions de trouver au haut du Puy de Dôme d'un pouce 10 lignes et demie ce qui n'augmentait pas peu notre satisfaction, voyant la hauteur du vif-argent se diminuer suivant la hauteur des lieux. Enfin, étant revenus aux Minimes, j'y trouvai le vaisseau que j'avais laissé en expérience continuelle, en la même hauteur où je l'avais laissé, de 26 pouces trois lignes et demie, à laquelle hauteur le R. P. Chastin, qui y était demeuré pour l'observation, nous rapporta n'être arrivé aucun changement pendant toute la journée, quoique le temps eût été fort inconstant, tantôt serein, tantôt pluvieux, tantôt plein de brouillards, et tantôt venteux. J'y refis l'expérience avec le tuyau que j'avais porté au Puy de Dôme, et dans le vaisseau où était le tuyau en expérience continuelle; je trouvai que le vif-argent était en même niveau, dans ces deux tuyaux, et à la même hauteur de 26 pouces trois lignes et demie, comme il s'était trouvé le matin dans ce même tuyau, et comme il était demeuré durant tout le jour dans le tuyau en expérience continuelle.

Je la répétai encore pour la dernière fois, non seulement dans le même tuyau où je l'avais faite sur le Puy de Dôme, mais encore avec le même vif-argent et dans le même vaisseau que j'y avais porté, et je trouvai toujours le vif-argent à la même hauteur de 26 pouces 5 lignes et demie, qui s'y était trouvée le matin. Ce qui nous acheva de continuer dans la certitude de l'expérience.

Le lendemain, le T. R. P. de la Mare, prêtre de l'Oratoire et Théologal de l'église cathédrale, qui avait été présent à ce qui s'était passé le matin du jour précédent dans le jardin des Minimes, et à qui j'avais rapporté ce qui était arrivé au Puy de Dôme, me proposa de faire la même expérience au pied et sur l haut de la plus haute des tours de Notre-Dame de Clermont, pour éprouver s'il y arriverait de la différence. Pour satisfaire à la curiosité d'un homme de si grand mérite, et qui a donné à toute la France des preuves de sa capacité, je fis le même jour l'expérience ordinaire du vide, en une maison particulière qui est au plus haut lieu de la ville, élevé par-dessus le jardin des Minimes de six ou sept toises, et à niveau du pied de la tour.

Nous y trouvâmes le vif-argent à la hauteur d'environ 26 pouces 5 lignes, qui est moindre que celle qui s'était trouvée aux Minimes d'environ une demi-ligne.

Ensuite je la fis sur le haut de la même tour, élevée par-dessus son pied de 20 toises, et par­dessus le jardin des Minimes d'environ 26 ou 27 toises ; j'y trouvai le vif-argent à la hauteur d'environ 26 pouces une ligne, qui est moindre que celle qui s'était trouvé au pied de la tour d'environ 2 lignes, et que celle qui s'était trouvée aux Minimes d'environ 2 lignes et demie. De sorte que, pour reprendre et comparer ensemble les différentes élévations des lieux, où les expériences ont été faites, avec les diverses hauteurs du vif-argent qui est resté dans les tuyaux, il se trouve :

Qu'en l'expérience faite au plus bas lieu, le vif-argent restait a la hauteur de 26 pouces 3 lignes et demie.

En celle qui a été faite en un lieu élevé au-dessus du plus bas d'environ 27 toises, le vif-argent s'est trouvé à la hauteur de 26 pouces une ligne.

En celle qui a été faite en un lieu élevé au-dessus du plus bas d'environ 150 toises, le vif­-argent s'est trouvé à la hauteur de 25 pouces.

En celle qui a été faite en un lieu élevé au-dessus du plus bas d'environ 500 toises, le vif­-argent s'est trouvé à la hauteur de 25 pouces 2 lignes.

Et partant il se trouve qu'environ sept toises d'élévation donnent de différence en la hauteur du vif-argent : une demi-ligne.

Environ 27 toises: 2 lignes et demie.

Environ 150 toises: quinze lignes et demie, qui font un pouce 5 lignes et demie.

Et environ 500 toises: 37 lignes et demie, qui font 3 pouces une ligne et demie.

Voilà au vrai tout ce qui s'est passé en cette expérience, dont tous ces Messieurs qui y ont assisté, vous signeront la relation quand vous le désirerez.

Au reste, j'ai à vous dire que les hauteurs du vif-argent ont été prises fort exactement; mais celles des lieux où les expériences ont été faites, l'ont été bien moins.

Si j'avais eu assez de loisir et de commodité, je les aurais mesurées avec plus de précision, et j'aurais même marqué des endroits en la montagne de cent en cent toises, en chacun desquels j'aurais fait l'expérience, et marqué les différences qui se seraient trouvées à la hauteur du vif-­argent en chacune de ces stations, pour vous donner au juste la différence qu'auraient produite les premières cent toises, celle qu'auraient donnée les secondes cent toises, et ainsi des autres ; ce qui pourrait servir pour en dresser une table, dans la continuation de laquelle ceux qui voudraient se donner la peine de le faire pourraient peut-être arriver à la parfaite connaissance de la juste grandeur du diamètre de toute la sphère de l'air.

Je ne désespère pas de vous envoyer quelque jour ces différences de cent en cent toises, autant pour notre satisfaction que pour l'utilité que le public en pourra recevoir.

Si vous trouvez quelques obscurités dans ce récit, je pourrai vous en éclaircir de vive voix dans peu de jours, étant sur le point de faire un petit voyage à Paris, où je vous assurerai que je suis,

  Monsieur,

     Votre très humble et très affectionné serviteur,

                                                          PÉRIER.

                                De Clermont, Ce 22 septembre 1648.

Cette relation ayant éclairci toutes mes difficultés, je ne dissimule pas que j'en reçus beaucoup de satisfaction, et y ayant vu que la différence de vingt toises d'élévation faisait une différence de deux lignes à la hauteur du vif-argent, et que six à sept toises en faisaient environ demi-ligne, ce qu'il m'était facile d'éprouver en cette ville, je fis l'expérience ordinaire du vide au haut et au bas de la tour Saint-Jacques-de-Ia-Boucherie, haute de 24 à 25 toises : je trouvai plus de deux lignes de différence à la hauteur du vif-argent ; et ensuite, je la fis dans une maison particulière, haute de   marches, où je trouvai très sensiblement demi-ligne de différence ; ce qui se rapporte parfaitement au contenu en la relation de M. Périer.

Tous les curieux le pourront éprouver eux-mêmes, quand il leur plaira.

De cette expérience se tirent beaucoup de conséquences, comme :

Le moyen de connaître si deux lieux sont en même niveau, c'est-à-dire également distants du centre de la terre, ou lequel des deux est le plus élevé, si éloignés qu'ils soient l'un de l'autre, quand même ils seraient antipodes; ce qui serait comme impossible par tout autre moyen. Le peu de certitude qui se trouve au thermomètre pour marquer les degrés de chaleur (contre le sentiment commun), et que son eau hausse parfois lorsque la chaleur augmente, et que parfois elle baisse lorsque la chaleur diminue, bien que toujours le thermomètre soit demeuré au même lieu.

L'inégalité de la pression de l'air qui, en même degré de chaleur, se trouve toujours beaucoup plus pressé dans les lieux les plus bas.

Toutes ces conséquences seront déduites au long dans le Traite du ride, et beaucoup d'autres, aussi utiles que curieuses.

 

AU LECTEUR

Mon cher lecteur. Le consentement universel des peuples et la foule des philosophes concourent à l'établissement de ce principe, que la nature souffrirait plutôt sa destruction propre, que le moindre espace vide. Quelques esprits des plus élevés en ont pris un plus modéré: car encore qu'ils aient cru que la nature a de l'horreur pour le vide, ils ont néanmoins estimé que cette répugnance avait des limites, et qu'elle pouvait être surmontée par quelque violence ; mais il ne s'est encore trouvé personne qui ait avancé ce troisième : que la nature n'a aucune répugnance pour le vide, qu'elle ne fait aucun effort pour l'éviter, et qu'elle l'admet sans peine et sans résistance. Les expériences que je vous ai données dans mon Abrégé détruisent, à mon jugement, le premier de ces principes ; et je ne vois pas que le second puisse résister à celle que je vous donne maintenant; de sorte que je ne fais plus de difficulté de prendre ce troisième: que la nature n'a aucune répugnance pour le vide, qu'elle ne fait aucun effort pour l'éviter ; que tous les effets qu'on a attribués à cette horreur procèdent de la pesanteur et pression de l'air; qu'elle en est la seule et véritable cause, et que, manque de la connaître, on avait inventé exprès cette horreur imaginaire du vide, pour en rendre raison. Ce n'est pas en cette seule rencontre que, quand la faiblesse des hommes n'a pu trouver les véritables causes, leur subtilité en a substitué d'imaginaires, qu'ils ont exprimées par des noms spécieux qui remplissent les oreilles et non pas l'esprit, c'est ainsi que l'on dit que la sympathie et antipathie des corps naturels sont les causes efficientes et univoques de plusieurs effets, comme si des corps inanimés étaient capables de sympathie et antipathie ; il en est de même de l'antipéristase, et de plusieurs autres causes chimériques, qui n'apportent qu'un vain soulagement à l'avidité qu'ont les hommes de connaître les vérités cachées, et qui, loin de les découvrir, ne servent qu'à couvrir l'ignorance de ceux qui les inventent, et à nourrir celle de leurs sectateurs.

Ce n'est pas toutefois sans regret, que je me dépars de ces opinions si généralement reçues ; je ne le fais qu'en cédant à la force de la vérité qui m'y contraint. J'ai résisté à ces sentiments nouveaux tant que j'ai eu quelque prétexte pour suivre les anciens ; les maximes que j'ai employées en mon Abrégé le témoignent assez.

Mais, enfin, l'évidence des expériences me force de quitter les opinions où le respect de l'antiquité m'avait retenu. Aussi je ne les ai quittées que peu à peu, et je ne m'en suis éloigné que par degrés: car du premier de ces trois principes, que la nature a pour le vide une horreur invincible, j'ai passé à ce second, qu'elle en a l'horreur mais non pas invincible ; et de là je suis enfin arrivé à la croyance du troisième, que la nature n'a aucune horreur pour le vide.

C'est où m'a porté cette dernière expérience de l'équilibre des liqueurs, que je n'aurais pas cru vous donner entière, si je ne vous avais fait voir quels motifs m'ont porté à la rechercher; c'est pour cette raison que je vous donne ma lettre du 16 novembre dernier, adressée à M. Périer qui s'est donné la peine de la fatigue avec toute la justesse et précision que l'on peut désirer, et à qui tous les curieux qui l'ont si longtemps souhaitée, en auront l'obligation entière.

Comme, par un avantage particulier, ce souhait universel l'avait rendue fameuse avant que de paraître, je m'assure qu'elle ne deviendra pas moins illustre après sa production, et qu'elle donnera autant de satisfaction que son attente a causé d'impatience.

Il n'était pas à propos d'y laisser languir plus longtemps ceux qui la désirent ; et c'est pour cette raison que je n'ai pu m'empêcher de la donner par avance, contre le dessein que j'avais de ne le faire que dans le traité entier (que je vous ai promis dans mon Abrégé), dans lequel je déduirai les conséquences que j'en ai tirées, et que j'avais différé d'achever jusqu'à cette dernière expérience, parce qu'elle y doit faire l'accomplissement de mes démonstrations. Mais comme il ne peut pas si tôt paraître, je n'ai pas voulu la retenir davantage, autant pour mériter de vous plus de reconnaissance par ma précipitation, que pour éviter le reproche du tort que je croirais vous faire par un plus long retardement.